A bien des égards, ce film est une métaphore qui englobe différents aspects sociaux, comportementaux et émotionnels de leur vie dans le camp : violences sociales, sentiments de rage, désirs de vengeance, cauchemars, culpabilité liée aux transgressions commises ou subies au Congo. « Nous aimons à dire que l’Ideas Box est une machine de la métaphore », confit Eve Saumier, Directrice de la communication chez BSF. La Boîte à Idées est conçue pour alimenter la créativité, pour aider les réfugiés à faire face à un traumatisme, et à canaliser leur colère. « Il ya beaucoup de violence sociale dans les camps, l’Ideas Box fournit les outils pour calmer cette violence », ajoute Eve. « C’est un lieu de dialogue et d’échange, qui aide les jeunes générations, nées dans les camps à recevoir et envoyer un message de paix. » En effet, « les mères disent souvent : nous ne voulons pas que nos enfants reproduisent les conflits que les adultes ont créés. » Les ateliers de théâtre, de tournage, tout comme les ateliers d’écritures et de contes renforcent leurs capacités de penser, d’imaginer, de se structurer pour exprimer leur vécu, notamment par des métaphores et des allégories qui ont une portée universelle. L’activité de réalisation de « A Mysterious Dream » leur a permis de transposer les effets psychosomatiques du trauma en images surnaturelles. L’histoire des réfugiés – et les horreurs qu’elle a produites – apparaissent de manière évidente dans le film « A Mysterious Dream ». « Toutes les mauvais actes que nous avons commis au Congo me reviennent tout le temps » dit Philippe, le personnage principal, au début du film. « Tous les gens que nous avons volés, que nous avons tués, viennent nous hanter. Je ne comprends pas pourquoi ». Son ami Tony, joué par Bulambo, le pousse à oublier. « Ce sont des choses que tu te mets dans la tête ».
Pour les téléspectateurs occidentaux, le film a toutes les caractéristiques d’un film de zombie, d’un film d’horreur. Vêtus de blanc, avec des peintures sur le visage, les esprits se lèvent en silence, dans un champ de désolation, et marchent mécaniquement, comme les zombies de la vidéo « Thriller » de Michael Jackson. Cependant, Bulambo dit que ce n’est pas l’intention de « Peace For Ever », en effet, ils n’ont jamais vu un film de zombie. Pour eux, les personnes vêtues de blanc représentent les personnes qui se sont suicidées en RDC, et viennent maintenant punir Philippe et Tony pour leurs transgressions. Le but de Bulambo, était d’aider ses compatriotes réfugiés à surmonter leur traumatisme en les y confrontant directement, de les aider à briser le cycle de la violence qui continue de sévir dans le camp. « Ce que nous avons vécu au Congo, nous a suivi ici, mes meurtres, les viols, tout cela … La réalité est un cauchemar qui nous guide et nous met en garde à propos de l’avenir. » dit il.
Matthias De Groof, chercheur à l’Université d’Anvers qui se spécialise dans le cinéma africain postcolonial, dit que d’autres Centrafricains ont utilisé la « cinétherapy » pour faire face aux traumatismes de leurs histoires sanglantes, « filmer de cette manière est une mesure thérapeutique ». « Le genre de l’horreur n’est pas extérieur à l’expérience de guerre des Centrafricains, mais est un thème qui est cristallisé à travers le film pour exorciser l’expérience », affirme Matthias. D’après lui, ceci explique pourquoi dans le film, les crimes antérieurs des protagonistes ne sont jamais vraiment expliqués, « les protagonistes sont présentés comme des responsables, qui deviennent ensuite victimes et sont pris dans un cycle de violence ». Enfin, « les deux protagonistes sont tués sans discernement, ainsi un certain ordre est rétabli, mais les personnes réellement responsables de la guerre en RDC sont -une fois de plus – épargnés ».
Bulambo a fui la RDC à l’âge de quatre ans, et a passé les années suivantes comme réfugié urbain à Bujumbura, la capitale du Burundi. En 2013, après la mort de son père, il a déménagé dans le camp de Kavumu et rejoint environ 10 000 autres réfugiés. Il n’est pas optimiste quant à ses chances de retourner dans son pays d’origine. « Je ne ai pas de famille là-bas, » dit-il, « je ne sais pas où j’irais ». Bulambo cherche à construire son avenir, notamment en mettant en œuvre ses projets de films sur le camp de Kavumu. L’Ideas Box aide les réfugiés à bâtir un pont entre hier et demain et vient renforcer les liens communautaires. Un grand nombre d’outils et de ressources documentaires aident les réfugiés à comprendre leur histoire, à se reconstruire et à se projeter dans l’avenir.
Le film « A Mysterious Dream » a été projeté pour les autres réfugiés du camp de Kavumu, grâce au vidéoprojecteur de l’Ideas Box et a reçu un franc succès. « Honnêtement, je ne pensais pas que c’était possible ! » explique Benjamin Gausset, Coordinateur pour BSF au Burundi. Il dit que la projection du film a été reçu avec des applaudissements bruyants, et que les acteurs sont maintenant traités comme des «petits célébrités » au sein du camp. « C’est très gratifiant pour eux, car cela contribue à reconstruire leur identité», ajoute Benjamin, « cela montre qu’ils ne sont pas seulement des chiffres. »
Depuis la réalisation du film «A Mysterious Dream », « Peace For Ever » est passé à 28 personnes entre 13 et 29 ans, dont neuf femmes. Ils sont déjà en train de travailler sur leur prochain film, qui abordera le sujet du choléra. Le prochain film de « Peace Forever » sera donc informatif, mais pour Bulambo, les fantômes de l’histoire de son pays ne seront jamais loin derrière. « Je ne suis pas capable d’échapper au passé, je dois vivre avec tous les jours. »
Consultez le rapport intermédiaire « Ideas Box Burundi »
Consultez le rapport « Ideas Box : un outil psychosocial innovant en situation humanitaire »